PASSION DES VINS

Château Clarke

« Château Clarke 91 : le meilleur vin de Listrac pour le millésime. Robe pourpre, très marquée - mais non asséchée - par le bois neuf, belle texture, tanins mûrs et fruités. Fera une bouteille au moins égale à 1988 et 1985. Très beau travail de sélection ». Ce jugement fort élogieux sur le dernier millésime du château Clarke, propriété du baron Edmond de Rothschild, est signé d'un sérieux œnophile et grand journaliste, Michel Bettane. Ce gourou fort écouté des propriétaires bordelais donne ses impressions. Ses textes sont scrutés, analysés, décortiqués comme les écritures Saintes.

Le rond Bettane, au physique de Falstaff, est devenu une autorité dans le cénacle des grands vins, à tel point que l'on dit ici et là (en Bourgogne par exemple) que certains propriétaires « bettanisent » leurs vins, en suivant les principes du journaliste aux papilles aiguisées… Ce que Bettane conteste formellement.

A Clarke, au cœur du Médoc, les appréciations flatteuses sur le 91 - un tiers de la vendange pour cause de gel - n'ont pas surpris outre mesure le propriétaire Edmond de Rothschild et son régisseur Jean-Claude Boniface, responsable du vin.

Les vignes plantées en 1973 prennent de l'âge, et sur les 128 hectares des trois propriétés du Baron, Clarke, Peyre-Lebade, Malmaison, les parcelles de cabernet et de merlot ont été clairement identifiées, répertoriés et sondées : l'ingénieur Boniface sait tout de leurs possibilités, la date de la vendange idéale, le rendement à l’hectare et la qualité des moûts. Tout cela a été rentré dans l'ordinateur car c'est le terroir qui fait le vigneron, c'est le sol, ses caractéristiques inhérentes et les cépages adaptés qui orientent les décisions du vinificateur.                                                                 

Au château Clarke, cru ressuscité par Edmond de Rothschild en 1973, un seul hectare planté, il a fallu inventer le vin, l'imaginer, le concevoir, le deviner du cep à la bouteille et jusqu'à l'étiquette. C'est une totale création sans référence réelle car personne n'a le souvenir d'avoir lampé du Clarke !  C'était un domaine à l'abandon et un vin oublié. Quel cépage privilégier ? Le cabernet sauvignon, le cabernet franc, le merlot ? Dans quelles proportions : 50?cabernet sauvignon, le plus grand cépage médocain ? Plus de cabernet franc comme à Pomerol ou à Saint-Émilion, tout en merlot comme à Pétrus ? Et où planter ces lianes grappées : sur 128 hectares pour les trois châteaux. Il y avait le choix. Comment donner une spécificité, un type à Clarke ? Le vin, le bon vin, commence à la vigne, dans les entrailles de la terre, et il poursuit son élevage au chai - jamais ce principe de base n'a été plus vrai qu'à Clarke.

Donc le 91 est une magnifique réussite dixit l'augure Michel Bettane. Hélas, il y a peu de bouteilles, seulement un tiers d'une vendange normale. Déjà le 1985, 1986, 1988, 1989 et 1990 possédaient une belle matière, une solide structure, « un volume extraordinaire » a noté l’œnologue maison Jacques Boissenot tels qu'on peut les attendre des vins de Listrac. Dans ce secteur du Médoc, à l'écart de la D2, la route des grands crus, les vins sont mâles, charpentés, plus sérieux que frivoles. Ils emplissent bien la bouche et ils ont de bonnes capacités à se bonifier. Ce sont, par excellence, des vins de repas, à marier avec les viandes rouges, le bœuf en rôti, l'agneau escorté de cèpes, le canard en salmis et les petits gibiers.

En S'attachant pendant une dizaine d'années à faire revivre le domaine et le vin de Clarke, plus deux autres crus mitoyens, le Baron Edmond a repris la tradition médocaine de sa famille, initiée par le Baron Nathaniel, acquéreur de Mouton en 1853 et par son cousin le Baron James, acquéreur de Lafitte en 1868.

Les Rothschild, jusqu'à ces dernières années, n'ont eu d'attaches que médocaines. Jamais ils n'ont franchi le fleuve pour investir à Saint-Émilion, Pomerol ou en Sauternais, sauf depuis que le Baron Éric a orienté les acquisitions vinicoles de la famille (côté Lafitte) vers les châteaux Evangile et Rieussec. Une extension du patrimoine rothschildien.

Le goût, le penchant net des barons banquiers pour le Médoc s'expliquent par le caractère de ces vins de garde. Les Rothschild ne font pas des vins pour la consommation immédiate, même si les amateurs d'aujourd'hui affichent des tendances nettes à déguster des Médocs plus jeunes, de cinq à huit ans.
C'est ce qui se passe pour Clarke : les vins ont besoin de ce laps de temps, étalé sur une demie décennie, pour s'affiner et dévoiler arômes et saveurs. Et un charme lent à apparaître car la charge des cabernets est là, emprisonnant le vin. Le temps seul peut atténuer les rudesses du tanin, garant de la longévité. Nul doute que dans l'esprit du Baron Edmond, l'œuvre entreprise à Clarke doit être poursuivie par son fils Benjamin 29 ans. Le baron vigneron ne travaille pas pour une récompense immédiate, bien que la réussite incontestée du 91, après la belle tenue des derniers millésimes, soit plus qu’encourageante.

Pour affiner le vin, pour maîtriser mieux la sélection des bonnes cuves - seule loi de la réussite - le Baron et Jean-Claude Boniface vont sortir un second vin, les Granges de Clarke. Une nécessité. A quand les premières bouteilles ? Trop tôt pour le dire. Mais la mise en valeur du terroir et du cru a pris un nouvel essor. Le domaine de Clarke tient son rang dans le peloton de tête des crus bourgeois du Médoc.